dimanche 20 janvier 2013

La loi salique et la mauvaise foi au XIVe siècle



Pour ce billet, on fait un grand saut en arrière pour aller au XIVe siècle, en plein moyen âge féodal : le sujet du jour est la loi salique, au cœur de deux conflits majeurs de cette époque, la guerre de cent ans, et la guerre de succession de Bretagne.

L’une des origines de la guerre de cent ans est une question de succession dans le trône de France, qui s’est trouvé revendiqué par le roi d’Angleterre de l’époque, Edouard III.
Le roi Philippe IV de France (dit « le bel ») mort en 1314, a trois fils et une fille. Son fils aîné Louis X lui succède, mais il meurt en 1316 alors qu’il n’a qu’une fille. Pour la première fois depuis plus de trois cent ans, il n’y a pas d’héritier mâle direct pour ceindre la couronne de France ! Les pairs de France se réunissent et décident que la fille de Louis X ne peut pas hériter de la couronne, de peur qu’elle se marie avec un prince étranger qui exercerait son autorité sur le royaume.

Philippe le Bel interprété par Georges Marchal dans une adaptation des Rois maudits (1972)


La couronne passe donc au deuxième fils de Philippe le bel, qui règne sous le nom de Philippe V. Mais il meurt aussi quelques années plus tard sans laisser d’hériter mâle : la couronne passe à son frère, qui devient Charles IV. Ce troisième et dernier fils de Philippe IV meurt aussi rapidement, en 1328, toujours sans héritier direct.

C’est donc un neveu de Philippe le bel, et un cousin des 3 rois précédents, qui hérite de la couronne : le père de ce Philippe VI, Charles de Valois, est en effet le frère de Philippe IV. Ce Charles de Valois est donc fils de roi, frère de roi, trois fois oncle de roi, et père de roi ! Il est le fondateur de la dynastie dite des Capétiens Valois, pour les distinguer des capétiens dits « directs », qui régnaient jusqu’alors.

Mais le roi d’Angleterre ne l’entend pas de cette oreille. Edouard III est le fils d’Edouard II d’Angleterre et d’Isabelle de France, la fille de Philippe de Bel ! Cet Edouard III est donc le petit fils de Philippe le Bel par sa mère, et il revendique la couronne de France à son profit ! Cela déclenche la guerre de cent ans. Cette question dynastique n’est toutefois la pas la seule cause du conflit, bien qu’elle soit emblématique.

Pour s'y retrouver ... 

Isabelle de France interprétée par S. Marceau dans Braveheart (1995)

Edouard Ier d'Angleterre, grand père d'Edouard III, interprété Patrick McGoohan, toujours dans Braveheart


Côté français, pour écarter Edouard III du trône, on invoque que la couronne de France ne saurait être portée ni même transmise par l’intermédiaire d’une femme ! Par la suite, à des fins de ce qui ne s’appelait pas encore propagande, on mettra en avant un article du code de loi des Francs dits « saliens » : un texte vieux de presque mille ans, remanié à de nombreuses reprises, et existant dans plusieurs versions contradictoires. Dans une de ces versions, il est mentionné que la terre salique (un concept sujet à de nombreuses interprétations) ne saurait être donnée en héritage à une femme. La mention de ce texte par un moine bénédictin en 1350 fut une heureuse découverte habilement exploitée par le parti français, non sans un brin de complaisance. Dans la suite de l’histoire de France, cette « loi salique » devient une règle fondamentale du royaume, qui sera invoquée et appliquée à de nombreuses reprises.

Et maintenant, direction la Bretagne …

En 1341, le duc de Bretagne Jean III meurt sans laisser d’héritier direct.  Mais son frère Guy  a eu une fille, Jeanne de Penthièvre, qui s’est mariée à Charles de Blois, neveu de Philippe VI évoqué plus haut. Du coup, Charles de Blois, beau fils de feu le frère du précédent duc de Bretagne (ça va vous suivez ?) revendique le duché de Bretagne grâce à son mariage, en vertu du « droit de représentation », un élément du droit breton permettant au mari de l’héritière du duché de la « représenter » en exerçant le pouvoir.  

Château des ducs de Bretagne à Nantes


Mais le père de Jean III, c’est-à-dire le duc précédent Arthur II, s’était remarié à la mort de sa première femme, avec qui il avait eu Jean III et Guy de Penthièvre. De ce deuxième lit, il avait eu un fils, Jean de Montfort, qui revendique à son tour le duché ! Il s’allie avec le roi d’Angleterre, cela forme le parti « anglo-breton ». C'est l'aubaine pour le roi d'Angleterre qui peut ouvrir un nouveau front dans sa guerre pour obtenir la couronne de France... 

Ca se complique ... 



Charles de Blois, chef du parti « franco breton » grâce à son mariage avec Jeanne de Penthièvre, est donc soutenu par son oncle le roi Philippe VI de France pour revendiquer le duché de Bretagne qui lui échoit selon lui par sa femme ! Philippe VI refusant dans le même temps la couronne de France au roi d’Angleterre puisqu’elle ne saurait être transmise par une femme… 

Et côté anglo-breton, Jean de Montfort appuie ses revendications ("la couronne du duc passe à l’héritier mâle") sur l’exercice d’une règle mise en avant par le parti adverse pour écarter son allié le roi d’Angleterre du trône de France !

Au risque d'être anachronique j'ai envie de parler d'un sacré "réalisme" politique ! 

On était donc bien parti pour quelques dizaines d’années de conflit ! C’est la guerre dite de succession de Bretagne, qui s’inscrit dans la guerre de cent ans.  



Un certain Du Guesclin s’illustrera dans cette guerre de succession de Bretagne, dans le parti franco breton de Charles de Blois. Du Guesclin deviendra d'ailleurs connétable de France sous Charles V (petit fils de Philippe VI), c’est-à-dire chef des armées du roi. Charles V ordonna même que ses ossements soient inhumés dans la basilique Saint Denis aux côté de ceux des autres rois de France, un très grand honneur. Son coeur est dans l'Eglise Saint Sauveur à Dinan. Ce soutien de Du Guesclin au parti franco breton vaut à ses statues et autres représentations d'être régulièrement taggées ou vandalisées par les indépendantistes bretons... 

Gisant de Du Guesclin à la basilique Saint Denis


Sa sépulture a été profanée comme les autres en 1793, suite à un célèbre décret de la Convention Nationale établissant que « Les tombeaux et mausolées des ci-devant rois, élevés dans l'église de Saint-Denis, dans les temples et autres lieux, dans toute l'étendue de la république, seront détruits le 10 août prochain ». C’est justement à cette occasion que la tête d’Henri IV a été détachée du corps, avant d’être retrouvée et authentifiée en 2010 !

Violation des caveaux royaux de Saint-Denis, par Hubert Robert



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Sources
Maurice Druon, Les rois maudits, 1955
Gui Alexis Lobineau, Histoire de Bretagne, 1707




1 commentaire:

  1. Ces tableaux me rappelle un certai débat "Nantes n'a jamais été bretonne..."

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